Mesuré

Ce n’est plus l’homme dans sa totalité que l’on regarde mais la mesure, la quantification de ce qu’il produit, quel qu’il soit : émotions, connaissance, attitude, comportement, position sociale… Et petit à petit, l’homme s’est identifié aux résultats de ces multiples mesures. Oui comment performez-vous ? L’homme est devenu cet objet de mesure, d’étude permanente. L’homme, ce mesuré ! Et dans ces mesures, nous avons établi, collectivement messieurs dames, ce qui est bien et mal, ce qui est trop ou pas assez, ce qui est totalement adéquat de ce qui ne l’est pas. Nous avons établi la norme !

Dans ce contexte de norme, la normalité correspond à la conformité de nos résultats aux yeux des autres (qui sont également les nôtres), à la norme établie. Et ce depuis tout petit : regardez votre courbe de croissance dans votre carnet de santé. Étiez-vous dans la norme alors ? La moyenne ou au-dessus ? Ouf, tout va bien alors ! Oui, nous sommes et acceptons pleinement d’être cet objet mesuré au sens littéral mais également dans le figuré. L’homme est l’objet et la figure mesurés de sa performance. Mesuré dans la norme, mesuré dans son comportement… On dit alors « équilibré » !

Car un véritable garde-fou est en place ! Aucune sortie de la norme ne sera tolérée et surtout pas au niveau de son intelligence ou de son cadre d’action. Oui, n’allons pas avoir des idées saugrenues qu’il y a un Tout qui va au-delà de la vie. Ou, pire que Dieu pourrait éventuellement exister ! Oui, ce Tout ou ce Dieu ne fait partie d’aucune échelle de mesure identifiée de façon concrète et répétée dans le temps. On veut bien tolérer ces idées, mais dans un cadre établi, la religion ou certains dogmes.

Non, de la mesure messieurs s’il vous plaît ! De la science, oui, ça, c’est bien. De la science avant tout. Des sciences humaines (puisque l’Humain est devenu une science), aux sciences économiques (oui c’est si important d’étudier cet argent), à la science des relations à travers les ressources humaines via la mise en place de modèles de comportement x ou y. Oui, l’Homme suit des « patterns » établis par l’étude de son comportement mesuré. Oui, ça, c’est du concret, du visible, de l’établi. Si je peux le mesurer, je peux mi fier ! Le reste, du pipeau.

La Foi, quoi la Foi ? Et puis c’est quoi : me fier à ce que je ne peux pas mesurer ni voir ? Croire en Dieu ? Non, messieurs un peu de sérieux. Je veux dire revenons à du concret, à notre science universelle et salvatrice ! Oui, là nous pouvons voir, palper, mesurer, donc contrôler la trajectoire de nos vies, de nos relations, du monde que nous voulons créer selon nos « cœurs », notre vision des choses. Le concret signifie aucun risque. La mesure signifie sécurité de choix. C’est mieux ainsi… Et puis au besoin, on fera appel au Seigneur pour une petite faveur de temps en temps. Oui, là on le tolère encore… S’Il veut bien me donner bien entendu !

Voilà où nous nous trouvons collectivement : dans une impasse ! L’impasse de la mesure. Sortir de cette impasse, hors de questions, vous plaisantez. Cela fonctionne très bien, je vous assure… Bon, à part dans quelques pays où les hommes sont torturés puis vendus comme du bétail, car eux aussi, ils souhaitaient une vie meilleure. Bon, oui il y a les guerres mais cela reste contrôlable. Non, restons là où nous sommes, c’est plus sûr. Le Tout et Dieu attendront bien encore un peu, non ?