Fantômes montant

Et je fais Sa volonté, tout le cheminement derrière moi semble s’afficher ici devant mes yeux en joie et je dis à voix aussi haute que la sienne : « Oui, c’est bon d’être en vie » « Oui, cela valait et vaut la chandelle. » En réalité, cela vaut tout le feu de son cœur, le seul feu possible pour faire fondre pixels, masques et calques ; la douleur, cette amie si fidèle qui me semblait alors indétrônable, vient de s’éclipser derrière les coulisses. Elle repointera son nez à la moindre occasion mais cela n'importe guère, elle sait désormais à Qui elle a affaire. Sa position si hautaine n’est plus, elle baisse la tête et attend telle une hyène. À la moindre faille, je sais qu’elle montrera ses pauvres dents jaunes de peur.

Mais aujourd’hui c’est Royaume au dîner, alors je n’attends rien. J’attends. Je savoure la victoire, je savoure l’ancienne chute à sa juste place, celle loin de Dieu. Je savoure l’instant avec Celui seul étant. Dieu. Cela semble simple même facile à cet instant, la victoire faisant fuir ces anciens charognards. Ces anciens prêts à tout pour faire grincer leurs dents, pincer, mordre, blesser l’être et la chair. Mais Dieu est là ce soir et ils le savent. Ils regardent le couple de leurs obscures coulisses tout en attendant leur tour. Et je vois se dessiner dans leur âme fébrile du Mal un regard incertain, oui un regard de peur. Ils se demandent dans leur intérieur : « celui-là pourra-t-on le regagner au dessein diabolique qui peut tout ou presque ? »  Alors ils observent, se regardent l’un l’autre, les vieux calques tombés se posent une seule question : « Comment rester ici désormais », hors de lui, il y fait si froid que peut-être il est temps de naviguer dans des eaux plus ternes, plus propices à notre dessein. Et ils attendent aussi, non en faïence mais en chair et en os. Ils attendent les instructions, le nouveau plan pour restaurer leur position qu’ils croyaient sans faille… Ils attendent encore et toujours, dans ce froid glacial que constitue le Mal.

Oui aujourd’hui c’est Royaume. Royaume au déjeuner, au repas du midi et à la collation du soir. Dieu l’a décrété car l’Homme a détrôné. Détrôné la pire bête en lui, la pire peur régnant sans relâche depuis des millénaires. Il sait désormais que Dieu est à ses côtés, chaque milliseconde veillant sur son âme tel un ami bienveillant, doux et bon. Ensemble, ils parlent, ils festoient de joie sans mot dire. Les paroles s’enflamment à chaque nouvelle montgolfière. Lui regarde, Dieu s’exclame : « C’est beau ». Les soldats dehors les regardent en continuant leur marche sans repos pour leur cœur. Ils marchent aveuglement vers ce destin qui n’inclut pas Dieu. Ils avancent tels de funestes bagnards voués à un bagne sans fin, les anciens matons veillant sur eux sans répits. Ils souffrent sans conscience de leur douleur. Ils disent « la vie est dure, c’est ainsi ».

Et pourtant, au menu du Royaume d’aujourd’hui, c’est le soleil du Grand Ami qui brille tel un joyau dans une forêt noire. Un soleil doux déroutant les forces de l’obscurité ; elles ne savent pas gérer ce qui est devant. Elles essaient à gauche, à droite, droit devant et à chaque fois c’est un mur ou un simple non qui, par vibration, les fait fuir. Rien n’y fait. Ces ingénieurs généralement si habiles s’en trouvent à leur frais et en appellent à leur chef ; attendre. Oui apparemment ils doivent attendre. Et eux attendant, déroutés par le seul regard de la victoire écrasante, Dieu et l’Homme font joie. La Foi fait bien des miracles. Des miracles si incroyables que le possible semble dérisoire en comparaison. Une fois que l’Homme a com-pris, l’anciennement impossible semble sourire à un nouveau champ des possibles. Car le Royaume recèle une guérison de possibles qui s’affranchit de celui encore qui ne croit pas...